« Qu’est-ce que c’est? », m’a demandé mon chef de cabine. Nous avons tous les deux admiré mon œuvre en argile vernie qui sortait du four. J’avais 12 ans. Je n’avais rien créé de précis. J’avais plutôt conçu un peu n’importe quoi en m’amusant simplement à modeler l’argile pendant les longues périodes du programme d’art et d’artisanat. Mais chose sérieuse, il fallait maintenant que j’identifie mon projet!
« Humm… », ai-je dit tout haut.
Enfin, mon chef de cabine s’est exclamé : « Oh, je vois. C’est un cendrier. »
Et voilà. Nous étions en 1980, il était donc encore permis de faire un cendrier. Aujourd’hui, dans la mouvance du politiquement correct, le même objet serait assurément qualifié de plat à bonbons ou à noix de soya santé et hypoallergènes. Dans tous les cas, mon œuvre était bien là et elle existait en tant que telle. Comme pour la plupart des projets d’art et d’artisanat au camp, elle représentait avant tout un instantané de mes pensées, de mes sentiments et de mes actions du moment. Elle était simple et personnelle, et c’est sans doute la raison pour laquelle elle repose toujours sur le bureau de ma mère (sans cendre).
Des flots d’encre ont coulé sur ce qui définit l’art et sur ce qui le distingue de l’artisanat. Mon intention n’est pas d’écrire un essai sur l’esthétique, je tiens seulement à dire pourquoi je pense que l’art et l’artisanat sont si importants au camp. Dans mon esprit, toute initiative créative mettant les sens en éveil peut être considérée comme de l’art. En revanche, l’artisanat exige des compétences structurelles, souvent acquises en tant qu’apprenti. Naturellement, l’art et l’artisanat vont de pair. Par exemple, Michel-Ange faisait appel aux méthodes artisanales de sculpture sur pierre pour créer ses œuvres, notamment le David. De même, au camp, les enfants apprennent des techniques telles que le tissage et la menuiserie pour créer des objets d’art comme des paniers et des cabanes à oiseaux. À quelle fin?
De nos jours, on admet que l’esprit humain se compose d’intelligences multiples. Autrement dit, nous sommes dotés de différentes forces cognitives – mathématique, sociale, verbale, artistique, etc. – qui se complètent l’une et l’autre. Par conséquent, le fait de combiner des activés sportives et sociales avec des projets d’art et d’artisanat nourrit le cerveau des enfants. Il s’agit en quelque sorte d’une formation intellectuelle transversale. Le problème de certains programmes d’art et d’artisanat, c’est qu’ils sont soit trop marginalisés, soit trop mécanisés.
D’une part, il y a marginalisation, lorsque la direction du camp ne parvient pas à créer une atmosphère où l’art est valorisé. L’art et l’artisanat ne sont alors pas perçus comme des activités « cool ». Peu de campeurs participent aux maigres périodes offertes et ceux qui le font sont étiquetés comme non sportifs, non aventureux ou non hétérosexuels.
D’autre part, il y a mécanisation, lorsque la direction du camp s’appuie sur des trousses déjà toutes faites au lieu de stimuler la créativité. On demande parfois aux campeurs d’acheter des mocassins, des cabanes à oiseaux, des portefeuilles, etc. à assembler. Dans ces cas, les activités – si on peut les appeler ainsi – se résument aux explications fournies aux enfants par le moniteur sur l’interprétation des directives d’assemblage. La fibre créative des enfants s’éteint alors en même temps que leur estime de soi, puisqu’il n’y a aucun sentiment réel d’accomplissement.
Dans les meilleurs camps, les programmes d’art et d’artisanat ont le vent dans les voiles, car la direction reconnaît la valeur d’un bon équilibre entre les activités – une combinaison adéquate de sport, d’aventure et d’art. Qui plus est, ces programmes sont florissants, car ils encouragent les campeurs à affiner leurs compétences, à résoudre des problèmes et à créer de nouvelles choses. C’est excellent pour leur cerveau et leur esprit, et le personnel du camp participe alors activement à sa mission, soit de favoriser un développement positif des jeunes. En prime, certains parents et grands-parents chanceux pourraient recevoir un cendrier – ou plutôt un presse-papier – à la fin du camp.
Cet article a initialement été publié dans le blogue Week-Ender, un produit de la revue Camp Business. Pour vous abonner, rendez-vous au www.campbusiness.com.
« Comment nous traitons-nous mutuellement ? » Voilà la question que le directeur du leadership adressait un soir au personnel d’un des plus anciens camps de nuit de l’Amérique du Nord. À première vue, cela semblait une question vide de sens, étant donné l’étiquette de « fraternité » que le personnel s’était lui-même accolée depuis des décennies. Mais le silence qui retomba dans la salle suggérait plutôt qu’un véritable travail d’introspection avait commencé. Le directeur du leadership, Tom Giggi, restait lui aussi silencieux, incitant ainsi le groupe à une réflexion encore plus sérieuse. (L’un des points forts de Tom consiste à poser de bonnes questions ; il sait aussi attendre des réponses réfléchies, plutôt que de répondre lui-même pour le groupe.)
À l’époque où j’étais moi-même campeur, je vénérais mon chef de cabine. Dans cet environnement fortement axé sur le développement du leadership, c’était chose facile. Le prestige de devenir membre du personnel – en partie attribuable à un processus de sélection compétitif, sans parler de la grande gentillesse des moniteurs – a eu comme résultat que la plupart des campeurs du Belknap ont grandi en voulant devenir eux-mêmes chefs de cabine. Mais pour le moment, Tom nous demandait de gratter le vernis d’amabilité extérieure et d’examiner ce qu’il y avait de substantiel en dessous.
Il m’est alors revenu en mémoire qu’en 1984, l’année où j’étais aspirant-moniteur, une question semblable avait été soulevée par mon chef de division, Mark Goodman. C’était la première fois que je travaillais au camp pour toute la durée de la saison de neuf semaines, mais aussi la première fois où la bienveillance générale qui, apparemment, soutenait l’esprit de corps du personnel commençait à montrer ses failles.
« Pourquoi Saul est-il exclu du groupe ? » C’est la question que Mark m’avait posée, en parlant d’un autre aspi. Je me suis mis sur la défensive et j’ai répondu en énumérant la liste des petites manies de Saul. « Eh bien, ai-je commencé, il nous tombe parfois sur les nerfs. Je sais qu’il aime le camp, mais son enthousiasme à tout crin semble manquer de sincérité. Il pose constamment des questions dont il connaît déjà les réponses, juste pour faire la conversation. En plus, il est accaparant. Parfois, on veut rester en petits groupes les soirs de congé, mais Saul nous colle dessus comme du chewing-gum. »
J’ai continué dans cette veine pendant plusieurs minutes tandis que Mark me regardait, en hochant patiemment la tête. Finalement, je me suis rendu compte que je n’avais pas du tout répondu à sa question. J’avais plutôt répondu à une question connexe : « Qu’est-ce que vous n’aimez pas chez Saul ? », au lieu de « Pourquoi Saul est-il exclu du groupe ? ». Mark gardait toujours le silence. J’ai avalé un peu de travers avant de poursuivre.
« Saul est exclu parce que les autres aspis l’excluent. » Mark hocha la tête, presque imperceptiblement. J’ai pris une grande respiration. « Maintenant, je me rends compte que l’une des raisons pour lesquelles Saul est si accaparant et exubérant, c’est que nous ne l’incluons pas comme nous le devrions. » Le regard de Mark s’est un peu agrandi. J’ai continué : « Tu penses sans doute que si nous traitions Saul différemment, il pourrait changer. Tu voudrais nous voir l’inclure davantage. » Enfin, Mark a ouvert la bouche : « Ce serait un beau geste de votre part, digne de l’esprit du camp. »
Un nouveau chapitre s’ouvrait alors pour moi : je comprenais mieux la manière dont le camp aide les gens à grandir. Le camp est un microcosme social reproduisant presque chaque type de transgression interpersonnelle, de même que l’attitude contraire. Ainsi, les dialectiques de l’intimidation/de l’amitié, de la médisance/de la confrontation, du rejet/de l’acceptation, des préjugés/de la compréhension, de la haine/de l’amour et – oui – de l’exclusion/de l’inclusion s’immiscent dans la vie du camp à différents moments durant l’été. La clé consiste à tirer profit des forces collectives du personnel pour instaurer un esprit positif au sein du groupe. Mais pour y arriver, il faut entretenir des discussions et des réflexions qui soient régulières et sincères.
Au sein de n’importe quel groupe d’employés (en vérité, au sein de tout groupe humain, peu importe le contexte) surviendront à un moment donné des conflits qui mèneront à des gestes malheureux. Une fois cette vérité admise, les professionnels des camps peuvent prendre des mesures pour éviter les cas d’épuisement, de dépression et d’agression en organisant au moins deux discussions, une en pré-saison et une en mi-saison, qui débuteront par la question suivante : « Comment nous traitons-nous mutuellement ? ».
Après cette longue pause dans notre discussion au chalet, le soir où Tom a adressé sa question au personnel, une discussion fructueuse a eu lieu qui a débouché, entre autres, sur ce qui suit :
La plupart des membres du personnel ont quitté la séance de formation cette nuit-là encouragés par les idées du groupe. Ils avaient également adopté deux ou trois nouvelles pratiques concrètes s’inspirant d’un esprit de générosité et d’inclusion bien plus conforme à l’idéal de leadership qu’ils entretenaient quand ils étaient campeurs. La différence, c’était que leur vision de pure bienveillance semblait maintenant plus proche de la réalité. Un membre du personnel a bien résumé la situation : « Nous nous traitions entre nous d’une manière que nous n’aurions jamais tolérée chez les campeurs. »
En pré-camp, planifiez une ou deux séances de discussion où les membres de votre personnel s’entretiendront de la manière dont ils se traitent mutuellement en privé. La façon dont ils se comportent entre eux après les périodes d’activité, durant leurs heures de repos et en l’absence des campeurs reflète-t-elle vraiment les valeurs qu’ils sont censés incarner en tant que membres de votre camp ?
Cet article a initialement été publié dans le blogue Week-Ender, un produit de la revue Camp Business. Pour vous abonner, rendez-vous au www.campbusiness.com.
Lors d’une récente réunion des enseignants, notre directrice de l’informatique expliquait les mises à niveau apportées au système informatique de l’école. « Grâce à ces mises à niveau, dit-elle, les pages que vous consultez fréquemment, par exemple celles où vous entrez les notes, se chargeront beaucoup plus rapidement. » Une de mes collègues lève sa main et exprime son impatience de voir ces améliorations implantées « parce que la vitesse à laquelle certaines pages se rechargent est épouvantablement lente ». Ma curiosité est piquée. « Je dois parfois attendre trois ou quatre secondes. C’est inacceptable. » Wow. Si quatre secondes est « épouvantablement lent », j’ose à peine penser comment cette collègue supporterait, par exemple, de faire des biscuits.
J’aime les débits de connexion rapides autant que n’importe qui. Et oui, faire des biscuit n’est pas la même chose que naviguer sur la toile. Le temps est une constante jusqu’à ce qu’on s’approche de la vitesse de la lumière, mais la perception de la vitesse est fonction de la tâche. La question, donc : à quel point sommes-nous devenus impatients si nous trouvons inacceptable d’attendre quelques secondes?
On doit tous cultiver notre patience, surtout si on travaille avec des jeunes. Voici dix raisons de donner 10 secondes à vos jeunes. (Aucune n’a rapport à Internet. Patient ou pas, je pense qu’on peut tous s’entendre pour dire qu’en ce qui concerne le temps de chargement, plus c’est rapide, mieux c’est. Mais essayez de rester équanime lorsque votre fureteur prend une grande respiration.)
Le moment est venu de dévoiler une donnée qui vous étonnera : vous n’avez pas une perception juste de ce que 10 secondes représentent lors d’une interaction avec un jeune. Comptez dix secondes maintenant, pour vous pratiquer. Mettez-vous devant un miroir et posez-vous une question compliquée. Maintenant, attendez dix secondes complètes pour la réponse. Mille et un, mille et deux, mille et trois, mille et quatre, mille et cinq, mille et six, mille et sept, mille et huit, mille et neuf, mille et dix. Maintenant, vous serez mieux à même de le faire dans une vraie situation.
Cela peut sembler contreintuitif, mais pour améliorer vos interactions personnelles, il faut ralentir plutôt qu’accélérer.
Cet article a initialement été publié dans le blogue Week-Ender, un produit de la revue Camp Business. Pour vous abonner, rendez-vous au www.campbusiness.com.